Cacophonies et Résonances Aliénantes : Chronique des oubliés de l'administration (La Cabane juridique, Calais)

Cacophonies et Résonances Aliénantes : Chronique des oubliés de l’administration
La Cabane juridique, Calais, actualisé 3 juillet 2020
https://www.facebook.com/legalsheltercalais/posts/947368839059081?tn=K-R

Depuis sa réouverture d’il y a maintenant un peu plus de deux semaines, les centres de rétention
administrative (CRA) de Coquelles et de Lesquin se sont vus les théâtres d’une fuite en avant de
l’administration française. Dans son article de la semaine dernière*, la Cabane Juridique mettait en
avant les carences de l’administration française, qui n’a pas hésité à parier la santé des retenu.es
contre leur « prompt » éloignement, en les enfermant sans prendre de mesures suffisantes pour
prévenir la propagation du virus.

Après avoir retenu son souffle pendant une quatorzaine suite au premier cas de coronavirus
confirmé en son sein, le CRA de Coquelles a finalement recommencé à se remplir plus avant, tous
les tests effectués depuis s’étant révélés négatifs.

Sans d’ailleurs que cela change l’absurdité d’un placement en rétention, particulièrement dans la
situation actuelle. Sans réelle perspective d’éloignement pour de nombreux pays, certain.es retenu.es
attendent depuis plus de deux mois leur transfert, vers des pays aussi difficiles d’accès que le
Portugal, par exemple. Et ce, au mépris de la loi, qui dispose on ne peut plus clairement que
l’administration doit effectuer « toute diligence » pour l’éloignement de la personne retenue dans les
plus brefs délais. En période post-confinement, alors que les frontières sont encore en partie
fermées, alors que certaines expulsions sont en pratique impossible, il semblerait que « toute
diligence » consiste simplement à… attendre. À attendre que les frontières rouvrent plus largement,
et dans l’intermédiaire à se constituer une réserve de personnes à éloigner le plus rapidement
possible, quitte à ce que ces personnes soient privées de liberté plusieurs mois.
Le tout, combiné à des mesures sanitaires pour le moins aléatoires. La gestion de la crise sanitaire
que nous avions décrite dans notre chronique précédente l’illustre bien*. Car entre les CRA de
Lesquin et de Coquelles, où ont été détectés des cas de coronavirus dans les Hauts de France, la
gestion de la crise a grandement différé.

A Coquelles, le CRA a mis en place des tests systématiques des nouveaux arrivants, une distribution
régulière de masques et de gel hydroalcoolique… Sans rendre impossible la création d’un nouveau
foyer épidémique, les mesures adoptées ont tout du moins permis la détection d’une situation
hautement problématique, et la direction a tenu compte de la crise passée en instaurant une zone
« tampon » pour isoler les nouveaux arrivants. Sans toutefois en atténuer les conséquences pour les
retenus, pour lesquels, par exemple, certaines audiences devant la Cour d’appel se sont tenues au
téléphone, depuis la cellule d’isolement (sans aucune certitude quant à la confidentialité des
échanges entre le retenu et son avocat.e). Situation si aberrante que même la Cour d’appel de Douai,
d’ordinaire réticente à libérer, a sanctionné le comportement de l’administration et en avait conclu à
la nécessaire libération des retenus concernés.

Le comportement de l’administration du CRA de Lesquin a atteint de tout autres niveaux. Car s’il a
fallu attendre que la situation se propage à Coquelles pour qu’elle soit détectée, elle avait pris son
origine au CRA de Lesquin*. Il n’aura toutefois pas fallu moins d’une dizaine de jours avant que la
quatorzaine décrétée à Coquelles soit également étendue à Lesquin, suite à la découverte de
plusieurs cas de coronavirus en son sein.

Et ce n’était que le début d’une situation kafkaïenne. Ce qui aurait pu être coordonné et uniformisé
au niveau régional, via un pilotage de l’Agence Régionale de Santé (ARS), s’est retrouvé
confusément pris dans des méandres administratifs. Parce qu’à la différence de Coquelles, où des
mesures effectives, bien qu’insuffisantes, ont été prises pour conserver des garde-fous en cas de
crise (incluant, notamment, des prises de températures forcées et anxiogènes), à Lesquin, il semble
que chaque composante de l’administration a préféré tirer la couverture à elle.

Tout d’abord, parce qu’il n’y a pas eu de campagne de tests systématiques. Seuls 60% environ des
personnes présentes sur le CRA ont été testées, avec en priorité les agents de l’administration, puis,
un peu plus tard, les retenus. Dans une des zones, pas un seul des retenus n’a passé le test, ce qui a
abouti également à une méfiance du personnel de ménage, qui ne souhaite plus prendre le risque de
se rendre dans une zone qui est potentiellement un foyer d’infection. Depuis 4 ou 5 jours, il n’y a pas
eu de nettoyage des locaux. Outre les conditions de logement indignes, cela met par ailleurs
également en péril les protocoles sanitaires mis en place, pourtant déjà dérisoires. En effet, si les
retenus de chaque zone mangent dorénavant séparément pour éviter la propagation éventuelle du
virus d’une zone à l’autre, aucun nettoyage n’est effectué entre les passages, diffusant plus avant la
peur parmi les retenus, qui craignent que le virus soit encore présent sur les surfaces. Certains
d’entre eux ont d’ailleurs refusé de s’alimenter, entamant une grève de la faim pour réclamer un
protocole sanitaire efficace.

Mais surtout, ce qui a créé des tensions grandissantes entre retenus et administration, ce sont les
fossés creusés entre protection de la police et celle des retenus.

Toutes les zones du CRA ne sont pas surveillées par les mêmes unités. Et selon l’unité chargée de la
surveillance, les retenus n’ont pas les mêmes accès aux équipements de protection (gants, gel
hydroalcoolique…). Si dans certaines zones la distribution semble se faire sans problème particulier,
dans d’autres, encadrées par une autre unité de police, la distribution semble bien plus unilatérale…
Face à des policiers engoncés dans l’ensemble masques/gants/gel le plus complet, des retenus tout à
fait démunis, avec une seule distribution de 3 masques par personne au cours de la semaine qui
vient de s’écouler. Et encore, celle-ci n’a-t-elle eu lieu que suite aux protestations véhémentes des
retenus, et que le commandant du CRA se soit déplacé pour arbitrer la situation. En matière de gel
hydroalcoolique, le désert est encore plus complet: il n’y en a tout simplement pas. Plus encore,
l’administration refuse de laisser les retenus accéder aux résultats de leurs tests, qui doivent dès lors
prendre la parole du personnel de l’administration pour argent comptant.

Les retenus dénoncent également une réelle difficulté d’accéder aux soins les plus basiques, qui
viennent rajouter à l’anxiété ambiante. On leur répète jour après jour que le médecin sera là le
lendemain, durant 4 jours, et ce alors même qu’il se plaignent de symptômes proches de ceux du
coronavirus.

Il n’y a plus de possibilité de recevoir des visites, les colis sont également interdits. Cela signifie,
entre autres, l’impossibilité de recevoir des vêtements propres ou des produits d’hygiène. Seule
alternative, tous les 15 jours, on ramasse leurs affaires, qui doivent être jetées dans un sac commun
et lavées en bloc, chaussures comprises. Lorsqu’elles sont sèches, on leur remet le même sac, à
charge pour eux de trier les possessions de chacun. Qu’en est-il de ceux qui n’ont pas pu disposer de
suffisamment d’affaires lors de leur placement?

Pour celui qui, du fait de l’inconséquence de l’administration, a eu la malchance de découvrir qu’il
avait été contaminé par le coronavirus au sein du CRA de Lesquin, les conditions sont plus dures
encore, après maintenant un mois au centre sans réelle perspective d’éloignement. Depuis son
isolement, il n’a pas eu accès à internet, ne serait-ce que pour prévenir son frère en Guinée, sa seule
famille restante, qu’il était atteint du coronavirus.
Et ses repas dépendent de la personne qui est chargée de lui apporter. Seul l’un des employés le lui
apporte avec gentillesse, lorsqu’il a de la chance. Le plus souvent, on le lui jette depuis la porte
avant de refermer précipitamment de peur d’être contaminé. Mais surtout, parfois, on l’oublie
purement et simplement.

Ce qui lui pèse le plus toutefois, c’est le manque d’air. Depuis 6 jours sans sortir de la pièce, avec
une fenêtre exposée de plein fouet au soleil brûlant de l’après-midi, mais dans l’impossibilité même
de l’entrouvrir. Il a demandé d’entrebâiller quelques minutes la porte de la pièce pour laisser un filet
d’air circuler. « Ouvre-moi un peu la porte pour que je puisse respirer », demande-t-il à l’agent de
garde. Mais les seuls courants d’air qu’il a obtenu, ce sont ceux qui lui parviennent lorsque l’on
daigne lui apporter à manger. Ça, et l’impossibilité d’accéder aux soins qui lui sont nécessaires pour
recouvrer l’usage de sa jambe. De l’aveu même du kinésithérapeute venu le voir, rien ne sert
d’insister: ici, il ne peut pas réaliser les exercices qui lui seraient nécessaires pour pouvoir à nouveau
plier le genou.

Les statistiques ont ceci de pratique qu’elles permettent d’effacer les individualités, d’étouffer les
grincements de rouages mal huilés, de diluer la douleur dans une bouillabaisse numérique. D’où
proviennent ces dysfonctionnements patents? Serait-ce la concurrence infamante entre les
préfectures des Pas-de-Calais et du Nord autour des statistiques d’éloignement, qui les a amenées à
prendre des risques (pour les retenus, c’est plus pratique) afin de, peut-être, en éloigner quelquesuns
quelques jours plus tôt? Lorsque même au sein d’un CRA la situation peut différer aussi
drastiquement selon l’unité de police en charge de la surveillance de la zone, on peut légitimement
se poser la question de l’existence du pilotage du CRA.

Ou plutôt, de celle de la cause d’une telle cacophonie trouvant sa résonance dans les souffrances des
retenus. De la cause d’une souffrance orchestrée dont le but reste, pour le moins, incertain. De la
cause d’une souffrance d’individus privés de liberté qui se sont retrouvés pris dans l’engrenage d’une
mécanique qui tourne dans le vide, étrangers bien plus à leur sort qu’au pays qui se refuse à les
accueillir.

Merci, Claire, de cette transmission : c’est vraiment tune chronique de l’inacceptable. Et elle est en outre très bien écrite.

Christiane

Bonjour

je me permets de réagir à cet article en sachant que je suis depuis quelques semaines seulement sur la liste de l'OEE en tant qu'adhérente au Comede

j'interviens comme médecin à l'UMCRA de Marseille depuis huit ans maintenant et ce qui me fait réagir c'est l'absence de mention du rôle avant tout du personnel médical dans les CRA cités
je rappelle quand même que le service public hospitalier est responsable de la santé des personnes retenues (je suppose que c'est la cas à Coquelles, Lesquin?) et qu'il a un rôle à jouer dans la prise en charge adéquate de santé des personnes; si ce n'est pas le cas, il faut alerter le ministère de la santé en sachant que cela fait plus d'un mois qu'on nous promet à la DGS de "pondre" un document officiel de prise en charge de la santé des retenus depuis le déconfinement (un premier document avait été diffusé en mars écrit conjointement par la DCPAF et la DGS)....

Le CRA de Marseille a fermé du 3 avril au 29 juin date de sa réouverture avec des situations bien sûr complètement aberrantes; toujours est-il que nous avons décidé du côté médical et sans aucune concertation avec la PAF de tester systématiquement les nouveaux entrants et bien sûr toute personne qui aurait des symptômes faisant suspecter une infection par le coronavirus.
C'est à l'UMCRA de remettre le résultat du test et non la PAF: nous sommes tenus au secret médical je le rappelle.

Nous n'avons pas encore eu de cas mais si cela se présentait, nous ferons tout ce qu'il faut pour que la personne soit hospitalisée et/ou libérée du CRA
Avec les quelques membres de la FUMCRA, nous avons fait de notre mieux pour tenir bon face au ministère de la santé pour bien leur dire que nous ne ferions pas de certificat médical de non contagion, de non infection par le coronavirus, en vue de l'expulsion de nos patients , car nous sommes médecins traitants de nos patients et non médecins experts....pas certaine que tous les médecins dans les CRA aient le même positionnement

Bonne fin de journée
Reem