enquete sanitaire Mesnil Amelot/ le CRA pourrait fermer, nouveau foyer de contamination

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SANTÉ

Covid-19: une enquête sanitaire a été déclenchée au centre de rétention du Mesnil-Amelot

14 AOÛT 2020 PAR PASCALE PASCARIELLO

Neuf personnes, quatre policiers et cinq étrangers sans papiers en instance d’expulsion, ont été à ce jour testées positives dans le centre de rétention du Mesnil-Amelot. Ce 14 août, l’Agence régionale de santé se rend sur le site pour une nouvelle campagne de dépistage, à l’issue de laquelle le centre pourrait être fermé temporairement.

Àla suite de la découverte d’un nouveau foyer de contamination au Covid-19 dans le centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot, en Seine-et-Marne, lieu où sont enfermés des étrangers en instance d’expulsion, l’Agence régionale de santé (ARS) a déclenché une enquête sanitaire.

Contactée par Mediapart, l’ARS a affirmé que des « tests avaient été faits sur les retenus. Et que ce 14 août, une nouvelle campagne de dépistage dans ce centre de rétention sera menée sur l’ensemble du personnel y travaillant ». Selon les résultats, la mise en quatorzaine des cas contacts pourrait conduire à une fermeture temporaire de ce CRA.

Depuis le 7 août, quatre policiers et cinq retenus ont été testés positifs au coronavirus. La situation a été rendue publique par l’association la Cimade, chargée d’accompagner juridiquement les étrangers enfermés. Dans un communiqué du 11 août, l’association annonce alors que, compte tenu de la propagation du virus, son personnel a dû quitter le centre, tout en maintenant une permanence téléphonique pour poursuivre l’accompagnement des étrangers en rétention.

Quatre-vingts personnes, réparties sur plusieurs bâtiments, sont actuellement retenues dans ce centre, situé près de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. « Les tests n’ont pas concerné l’ensemble des bâtiments du centre. Certains retenus n’ont donc pas encore été testés et d’autres attendent encore leur résultat », tient à préciser Mathilde Godoy auprès de Mediapart. Responsable de l’action rétention en Île-de-France pour la Cimade, elle déplore que « dans cette attente, les personnes continuent de côtoyer les autres, sans pouvoir être isolées individuellement ».

« Les conditions de détention sont incompatibles avec les mesures de précautions ou de suivi médical. Les avis de l’unité médicale du CRA vont d’ailleurs dans ce sens », poursuit-elle. « Les cas positifs ont été transférés au centre de rétention de Vincennes, dans un bâtiment dédié aux personnes contaminées. Ce qui n’est, évidemment, pas plus adapté. »

Mathilde Godoy rappelle que « la Cimade demande la fermeture des centres de rétention, car malgré les protocoles préconisés par le ministère de l’intérieur pour éviter la propagation du virus, l’épidémie reprend, comme c’est le cas au CRA du Mesnil-Amelot. Pour éviter sa propagation, il n’y a pas d’autre possibilité que celle de la fermeture ».

Contacté par téléphone, Nabil, 31 ans, « vit dans la peur ». En France depuis plus de vingt ans, ce Marocain est en attente d’expulsion. Après plusieurs années passées en prison, il est visé par une « obligation de quitter le territoire français » (OQTF). Enfermé dans le centre depuis 70 jours, Nabil espère en sortir d’ici 20 jours, la durée de rétention maximale étant de 90 jours.

Le 12 août, jour de notre appel, Nabil n’avait pas encore été testé. Il a accepté d’être enregistré et que son témoignage soit publié.

il a été informé du premier cas de retenu testé positif non pas par les agents de police mais par l’intéressé lui-même. « Je le connaissais et j’ai continué à le côtoyer lorsqu’il attendait ses résultats sans prendre davantage de précautions, regrette-t-il. Ici, c’est quasi impossible de se protéger. On est les uns sur les autres et peu de personnes maîtrisent bien le français, ce qui rend encore plus difficile la situation et [accroît] les mises en danger. »

Les retenus du centre du Mesnil-Amelot, testés positifs au coronavirus, sont transférés dans un autre centre de rétention, celui de Vincennes, où un bâtiment est réservé aux personnes contaminées.

Margot Berthelot, chargée de l’équipe juridique de l’Assfam, association venant en aide aux retenus à l’intérieur du CRA de Vincennes, s’insurge qu’on puisse déplacer un cluster, pour en provoquer un autre et rappelle qu’« un centre de rétention n’est pas un centre de santé ».

« Que l’on soit d’accord ou pas avec le principe de l’expulsion, avec l’épidémie, le trafic aérien est encore difficile. Et certains ressortissants ne peuvent pas être expulsés dans leur pays d’origine. Il s’agit de privation de liberté abusive », dénonce-t-elle avant de conclure que « les centres devraient être fermés ou qu’a minima, les personnes testées positives devraient être libérées ».

Plusieurs étrangers ont demandé leur remise en liberté auprès du juge des libertés et de la détention (JLD). Ils ont fait valoir que « leur sécurité et leur dignité ne sont plus garanties » compte tenu de la propagation du virus, « de l’insuffisance des mesures prises pour éviter la contagion » et « des conditions sanitaires précaires existant actuellement au centre ». Motifs exposés le 10 août par l’un des retenus du CRA du Mesnil-Amelot auprès du tribunal judiciaire de Meaux. Mais sa demande a été rejetée, comme à ce jour, toutes celles émises, depuis la découverte du cluster, par des étrangers enfermés dans ce centre.

Mediapart a pu consulter plusieurs de ces rejets. C’est avec une antinomie dans les termes pour le moins déconcertante que certains magistrats estiment, d’une part, qu’il ne leur appartient pas « d’apprécier les conditions matérielles de rétention dans les centres et l’éventuelle responsabilité de l’État à assurer la sécurité sanitaire » et jugent néanmoins, par ailleurs, « qu’en l’état, les quelques cas déclarés » dans le centre du Mesnil-Amelot « ne sont que la traduction d’une présence toujours effective du virus en Île-de-France et d’une plus grande facilité de détection avec une multiplication des tests effectués ».

Rien de grave donc selon les magistrats qui oublient que de nouvelles campagnes de dépistages ont été conduites, non pas de façon fortuite, mais dans le cadre d’une enquête sanitaire déclenchée en urgence par l’ARS. Sollicité par Mediapart, le tribunal judiciaire de Meaux n’a pas donné suite à nos demandes. Le ministère de l’intérieur est resté tout autant silencieux.

En mars, lors du confinement, la question de fermer temporairement les CRA avait été posée au Conseil d’État, saisi par plusieurs associations dont la Cimade. Requête rejetée. Le Conseil d’État considérant que « les conditions de rétention sont compatibles avec les prescriptions sanitaires de lutte contre le virus ».

Déplorant cette décision, le Défenseur des droits rappelait, le 18 avril, qu’il recommandait depuis le début de la crise « la fermeture de tous les CRA » dans la mesure où « il existe […] un risque indéniable de contamination, tant pour les retenus que pour les personnels, portant au droit à la vie et à la protection de la santé une atteinte disproportionnée et alors même qu’il n’existe pratiquement aucune perspective d’éloignement à bref délai ».